LETTRE OUVERTE
à Madame Fadela AMARA, Secrétaire d’État auprès de la ministre du Logement et de la Ville
Prévention ou sécuritaire : Le grand écart
Alors que les émeutes des banlieues de l’automne 2005 ont apporté un coup de projecteur spectaculaire sur le malaise, le mal-être de notre jeunesse, les politiques devant l’ampleur de la crise et dépassés par cet élan spontané, réactif et violent ont répliqué en apportant une réponse musclée à travers un arsenal sécuritaire et des promesses.
Deux ans plus tard, les promesses n‘ont pas été tenues et la confiance n’a pas été restaurée. L’arsenal répressif s’est cristallisé sur les quartiers dits difficiles et a fini par s’installer dans la routine du quotidien rythmé par une présence policière accrue, une surveillance continue et des contrôles incessants.
Chasse aux clandestins, couvre-feu et tout cet outillage d’arrêtés municipaux dont la ville d’Orléans s’est dotée pour interdire et contrôler font désormais partie de notre ordinaire.
Fadéla, venez jeter un coup d’œil dans la cité de Jeanne… Tout y a été expérimenté en matière de surveillance et de contrôle social :
– Agents de pseudo-médiation appelés blousons rouges dont le rôle est de collecter de l’information pour la municipalité,
– Surveillance vidéo, renforcement des effectifs policiers et même le concept d « été punch » pour sous prétexte d’occuper les enfants, mieux les surveiller en leur proposant des activités à la place des vrais spécialistes de l’animation de rue que sont les associations de terrain…
Alors que l’on dégage de vrais moyens pour sécuriser et réprimer, on saupoudre pour faire un vrai travail de prévention et tisser du lien social.
Pour éradiquer cette jeunesse qui se désespère, pour dissimuler le mal de vivre ; aujourd’hui, après avoir rasé le centre Bélassor à Beauchamps quartier enclavé d’Orléans La Source on parle même de détruire le Centre commercial 2002 :
« On ne construit pas de la vie en démolissant ».
Dans mon livre, « Banlieues, de l‘émeute à l‘espoir » Collection L’écrit d’alarme, Regain de lecture qui reste le témoignage d’un ancien éducateur de rue, je fais la démonstration à travers des histoires de vie que c’est en tissant du lien social, en agissant en amont sur les causes et non pas seulement sur les conséquences que l’on débâillonnera cette jeunesse qui se désespère et que l’on ravaudera les trous de notre société.
Il est encore temps de ne pas se résigner et de redonner des moyens aux acteurs de terrain, de soutenir le tissu associatif et à nos élus d’accepter de dire qu’ils ne savent pas forcément tout et qu’il est encore temps de laisser travailler « librement » les professionnels du social, en tout cas de les consulter et de les écouter. Il est encore temps, mais il n’y a plus de temps à perdre.
Lorsque votre voiture ou le tram tombent en panne : Qui allez-vous voir ? Un technicien ou un élu ? Alors quand notre société tombe en panne de lien social, pourquoi les élus auraient la réponse et que l’avis éclairé des spécialistes du « social » ne serait même pas recueilli ?
La Banlieue a grondé et si l’on ne prête pas une oreille attentive à la parole de notre jeunesse, si l’on continue à réprimer pour réprimer, si nos élus s’entêtent à ne pas enfin rééquilibrer sécuritaire et prévention, c’est un tsunami qui déferlera et des lendemains qui déchantent qui assombriront notre vie au quotidien.
Tendre l’oreille puis tendre la main, se rencontrer et échanger c’est déjà un grand projet. « Personne ne naît mauvais, on le devient ».
Travailleur social depuis près de 20 ans sur ce vaste ensemble bétonné qu’est le quartier de La Source, j’essaie modestement de faire entendre ma voix et à travers mes positions de redonner une place à ceux que l’on rejette sur le bord du chemin et je vous invite à lire mon ouvrage qui reste un témoignage d’actualité… autant qu’un cri du cœur !
Le 7 septembre dernier, date à laquelle vous avez en Conseil des ministres présenté l’esprit de votre plan Banlieue, je vous avoue que j’ai été perplexe, mais pas plus que j’aie été surpris de votre engagement auprès de Sarkozy que je n’arrive pas à considérer comme le président de notre République tant il a désacralisé la fonction de chef d’État.
Enfin !!!
Sachez malgré tout que je ne doute pas de la sincérité de votre engagement mais je reste très réservé.
En effet, nombreux sont les ouvrages, les rapports notamment de « banlieuscopie » qui ont analysé les problèmes de banlieue et j’accuse nos élus d’être de vrais faux-culs devant leur manque de volonté chronique de se donner les moyens de répondre à cette crise de notre jeunesse, plus particulièrement celle qui habite de l’autre côté de la rue. (du mauvais côté ?)
En ce 23 janvier 2008, j’attends et je m’interroge !
J’ai l’impression que votre ministre de tutelle ; Madame Boutin dont on connaît la sensibilité, les origines sociales et les convictions politiques si éloignées des vôtres ne vous laisse tomber, que Monsieur Sarkozy plus préoccupé par la main qui tient le bâton que par celle qui passe le témoin ne vous coupe l’herbe sous le pied et nous propose le 8 février un plan Banlieue au rabais en cette période de solde.
Vous êtes porteuses d’espoir et d’ailleurs, vous avez baptisé ce plan « Espoir Banlieue » qui fait résonance avec le titre de mon livre sorti le 21 février 2007 ! (avant les élections présidentielles !). « BANLIEUES, de l’émeute à l’espoir »
J’aurais aimé partager avec vous mes propositions pour l’Espoir-Banlieue comme par exemple une autre approche de la notion du travail à laquelle je préfère le concept d’utilité sociale.
En effet, quand j’entends Sarkozy proposer à chaque jeune un travail ou une formation à condition qu’il se lève tôt… Quelle connerie et quelle ignorance. De quels jeunes parle-t-il ?
Même avec la meilleure volonté du monde ; il y a des jeunes qui sont tellement cassés, tellement déstructurés qu’ils seraient bien incapables de se lever et de tenir le rythme de travail… Et à ceux -la il faut d’abord donner, donner de la dignité, donner un espace du possible et peut-être avant tout la possibilité de se sentir utile socialement. Il sera bien temps plus tard de se former ou de trouver un emploi… J’ai des propositions en ce sens !
Il faut aussi à mon avis débâillonner notre jeunesse et leur donner enfin l’accès aux médias. Je propose que chaque journal consacre un espace d’expression possible à tous ces jeunes et que cette page fut elle blanche existe au moins symboliquement. Tout comme au journal télévisé de 20 heures, je propose que l’on consacre chaque jour un reportage de quelques minutes, une galerie de portrait, le parcours de réussite d’un jeune afin d’échapper enfin aux stigmates des faits divers… (il existe bien la maison « Leroy Merlin ! »).
Je propose aussi la création de Maisons de la citoyenneté qui soient de vraies Maisons pour tous, lieux d’échanges et de rencontres intergénérationnels où l’on pourra enfin construire de vrais projets (culturels, sportifs, musicaux etc..)
Ces propositions et j’en ai encore tellement en réserve comme l’accès au logement social pour les jeunes qui entrent dans la vie active et les jeunes couples, le renforcement des effectifs de travailleurs sociaux (animateurs, éducateurs de rue et tout adulte-relais pour aller à la rencontre des ces jeunes), la nécessité de soutenir le mouvement associatif… Il faut se donner les moyens de favoriser toute action et initiative qui participent et j’en suis convaincu, au remaillage du lien social : On ne peut plus faire l’économie de favoriser la rencontre et l’échange…
L’enjeu de la Banlieue n’a d’égal que l’enjeu environnemental car si on n’y prend garde, on va crever des désordres sociaux et des désordres écologiques… Leurs déséquilibres participent de la même analyse : l’homme est un loup pour l’homme.
Entre l’avidité de Sarkozy et le conservatisme de Boutin, y a-t-il une place pour la conviction de Fadéla ? Je me pose la question et… j’attends.
Bien évidemment, Madame je reste à votre disposition pour échanger avec vous si vous pensez qu’un modeste travailleur social puisse vous enrichir de son vécu.
Yves BODARD
« Travailleur » et « social » ensemble dans une même définition ? C’est incompréhensible pour Sarkosy ! C’est même un gros mot pour lui !
Voila un grand monsieur qui parle juste